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2007
Deux poèmes inédits de Léon Askénazi

Ces deux poèmes nous ont profondément touchée.

Voici ce qu'en a dit en 1997 Liliane Atlan, en guise de préface :



Quelques jours à peine après avoir donné sa leçon, inoubliable, de Kabbalah lors du Séminaire sur l’Ecole Juive de Paris, Manitou m’appela pour me dire qu’il se trouvait à l’hôpital, il avait écrit un poème dans la nuit, il voulait que je vienne, le plus vite possible, pour le lire.
C’était « Le Mystère du Mur ».
- C’est le plus beau poème que j’aie jamais lu, et c’est le plus grand enseignement que j’aie jamais reçu. Par ton enseignement tu fais revivre la Kabbalah, par ce poème tu la renouvelles.
Il rentra chez lui, il allait un peu mieux, de nouveau il m’appelle, j’ai encore écrit un poème, peux-tu venir.
C’était « La Couronne de Lune ».
Il me montrait ses poèmes pour vérifier s’il avait bien dit ce qu’il voulait dire, il se méfiait de la parole écrite, et surtout, il était modeste.
Il rentra chez lui, à Jérusalem. Nous sommes restés en contact, par téléphone. Il avait l’idée d’autres poèmes, il ne les avait pas encore écrits, j’insistais pour qu’il le fasse, il avait du mal à parler, à respirer, et j’insistais, je voulais qu’il lutte pour vivre encore. Un jour il m’appelle, il me dit qu’ils seront publiés, en hébreu et en français, il me demande si je serais d’accord pour écrire la préface ? Oui, bien sûr, et j’étais si triste qu’il ne puisse demander cela qu’à moi.
Il faudra bien qu’un jour je trouve les mots pour dire ce qu’à Orsay, à cause de nous, il a souffert.
Il y a longtemps de cela, à l’époque où je m’étais détachée de mes amis et de la tradition, une nuit j’ai vu en rêve un piano de concert noir, des hommes le portaient sur leurs épaules, ils descendaient l’escalier étroit d’une tour analogue à la mienne. Quelqu’un allait mourir. Je ne peux pas mourir sans avoir demandé pardon à Manitou. Je n’avais pas pensé à lui depuis longtemps, l’idée qu’il me fallait lui demander pardon ne m’était jamais venue, et là, devant ce piano de concert noir que je voyais encore après m’être réveillée, c’était si clair que je me mis à lui écrire. C’est Rolande Lévy qui mourut, une ancienne de l’Ecole d’Orsay, nous étions depuis peu voisines, elle, je ne la fuyais pas, elle savait ne pas me blesser, elle était une personne exceptionnelle. C’est peut-être grâce à nos brèves rencontres que l’idée de demander pardon à Manitou s’est imposée à moi.
Manitou m’a pardonnée parce que j’étais la fille de mon père, Elie Cohen.
Mon père est né à Salonique sur un escalier, sa mère était pauvre, elle avait dû travailler jusqu’au dernier moment, tandis qu’elle accouchait son voisin agonisait. Cet homme était un juste, elle donne son nom, Elie, à son fils.
Je le raconte ici parce que Manitou disait de mon père qu’il était un Tsaddik.
Lorsqu’il devint le Directeur de l’Ecole d’Orsay, Manitou était très jeune, ils étaient, lui et Bambi, très seuls, et mon père, qui les aimait, les aidait, comme un frère beaucoup plus âgé qu’eux l’aurait fait.
Il serait fier que Manitou m’ait demandé d’écrire la préface de ce livre de poésie unique, essentielle, qui tient, par la force des choses, dans si peu de textes : sa dernière Leçon de Kabbalah, que Shmuel Trigano a retranscrite, « Le Mystère du Mur », « La Couronne de Lune ».
Je revois Manitou à Orsay lorsqu’il était encore un jeune homme, si maigre, aux yeux affamés, le shabbat il chantait « Kotel Maharavi », l’un des chants des poètes de l’Andalousie, en chantant il nous aidait à ressentir cette faim de l’infini, cette nostalgie d’un amour infini, cet amour impossible et infini dont il nous enseigna, si peu de temps avant sa mort, qu’il est à l’origine de la Création des Mondes.
Dans le dernier mot du « Mystère du Mur », l’accent circonflexe manque. Il ne pouvait pas se passer de faire des astuces. C’est une forme de pudeur. Lui-même nous l’avait enseigné, le secret ne se raconte qu’avec pudeur, le livre qui raconte la création du monde s’appelle « Le Livre de la Pudeur ».


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Le Mystère du Mur

Yech = Kir (Il y a = Mur)

Ce mystère est un secret. Depuis toujours, le mur attendait le geste créateur qui permettrait à la Face de rencontrer la Face. Depuis toujours, les deux visages du mur étaient séparés. Ils pleuraient et leurs larmes ruisselaient à la face des cieux. Ils pleuraient et les voix du silence disaient que ce mur était le mur des pleurs. Les larmes tombaient infiniment et fertilisaient la terre. Larmes de feu, larmes de pluie, larmes de vie. En arrivant à terre, chaque goutte de pleur éclatait en sanglot, et les voix du silence vibraient de leur clameur : Où es-tu, Bien-aimé : où es-tu Bien-aimée !… Et c’était comme le deuil d’un veuvage avant les fiançailles !…

Un jour, dans le long temps des jours, l’infiniment Secret, l’infiniment Mystérieux, l’Enigmatique, l’Ancien des Jours, décida de mettre fin à la souffrance des Visages de la Solitude. Il tira l’épée magique de son fourreau d’éternité, et dans un soupir dont l’écho se fait encore entendre, il fendit le mur en son milieu et en retourna les brisures, Face à Face. Celles de l’extérieur se rencontrèrent enfin ; et la lumière fut.

Mais le cœur du mur était brisé. Le bonheur d’être de l’étreinte infinie au séjour de l’Unique, devint le malheur originel des nouvelles Faces extérieures : celles de la création seconde qui mène à la gloire de la rédemption pour la première création. Ce malheur deuxième était d’autant plus grand pour le cœur séparé, que la cause réelle de son drame était cachée, secrète, énigmatique, mystérieuse. C’était le mystère d’un secret dont la porte fut gardée par l’ange à l’épée tournoyante ; celle qui trace en cercles les haies de l’interdit. Les voix du silence appellent cela le Paradis perdu, afin que le visage rencontre le visage.

Cependant, une fois par éternité, à l’horloge de la loi des Temps, les visages perdus se retrouvent un instant. Au dehors, dans le séjour des nombreux, le tonnerre et la tempête des anciennes figures de la solitude éternelle éclatent de terreur d’avoir à retrouver l’infinie séparation. Elles hurlent à la vie ; et c’est cela, le bruit du monde.

Mais à l’intérieur du séjour de l’Unique, nous nous sommes reconnus ; nous nous sommes retrouvés et le mystère se fait miracle ! Bonjour, au revoir ; à bientôt, pour un autre instant t d’éternité ; quand les temps seront murs.

A l’hôpital, 2.01.96
Manitou

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La couronne de lune


Or, pour que l’espace du monde puisse apparaître ; un point de l’absolu s’est vidé de son âme. Entre Dieu et son Nom, en effet, où trouver la demeure du monde, dans l’infini de l’infini ? Mais de la tragédie de ce point primordial, à qui nous devons d’exister, personne n’ose parler.

Les savants disent que le néant avait précédé l’être. Les Sages révèlent que l’inverse était vrai. L’histoire du monde, avant son commencement, fut celle d’un sacrifice inouï, dont nul ne porte le deuil, tant il est grand : l’oubli du commencement.

De la mort d’un point de l’Être, était né l’Espace, sombre, vide, angoissé comme une tombe. Cependant, cet espace de solitude devint la matrice des mondes à venir : la tombe était berceau. Dès l’instant premier, le souffle qui soufflait sur la face de l’abîme, avait fait jaillir des profondeurs de la nuit le cri de l’âme absente : Qu’il y ait lumière ; Que je revienne à moi !

*

Au commencement était le cri. La voix qui brisa le silence éternel, était le cri de l’âme disparue. Et je l’entends parfois, les soirs où se cache la lune.

Plainte vraie, profonde et terrible ; elle fut donc exaucée. Mais la lumière ne revint qu’en traces d’étincelles et de lueurs atténuées. Il fallait que l’espace du vide préserve le vide de l’espace.

C’est depuis lors qu’un monde est nommé du nom de l’âme qui lui manque. Les savants disent qu’il s’agit de l’idéal, trace de vide de la vertu qui manque encore. Les vivants, eux, parlent de l’amour, appel éperdu de l’âme disparue.


Manitou

 



 
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