| Comment le fils du roi 
        et le fils de la servante furent substitués l’un à l’autre
 Rabbi Na’hman  Il était une fois un roi ; dans sa maisonnée, 
        il y avait une servante qui était au service de la reine (bien 
        entendu, ce n’était pas une simple cuisinière à 
        qui il est interdit d’entrer chez le roi ; cette servante avait 
        une autre fonction, du reste assez modeste). Or la reine et la servante 
        accouchèrent au même moment : la sage-femme entreprit alors 
        d’intervertir les deux nourrissons pour voir quelles conséquences 
        en résulteraient. Elle prit donc le fils du roi et le plaça 
        à côté de la servante ; quant au fils de la servante, 
        elle le plaça à côté de la reine. Par la suite les enfants grandirent : le fils du roi (ou plutôt 
        celui qui fut élevé comme un fils de roi et qu’on 
        prenait pour un prince) reçut une bonne éducation et il 
        fut promu à des rangs toujours plus importants ; en un mot, tout 
        lui réussissait. De son côté, le fils de la servante 
        (ou plutôt celui qui fut élevé par la servante et 
        qui était en fait le fils du roi) grandit dans la maison de la 
        servante. Les deux enfants étudiaient dans la même école. 
        Le véritable fils du roi qui était appelé fils de 
        la servante avait une attirance naturelle pour les mœurs royales, 
        bien qu’il eût été élevé dans 
        une maison de serviteur. Inversement, le fils du roi avait une attirance 
        naturelle pour d’autres mœurs, différentes des mœurs 
        royales ; mais comme il avait grandi dans la maison du roi, il était 
        obligé de se conformer aux mœurs royales, car telles étaient 
        les manières auxquelles on l’avait habitué.
 Avec l’esprit inconséquent qui caractérise les femmes, 
        la sage-femme alla révéler le secret à quelqu’un 
        et confia qu’elle avait interverti les deux enfants. Or tout homme 
        a un ami qui a lui-même un ami, si bien que le premier raconta tout 
        naturellement l’affaire à son ami, et c’est ainsi que 
        le secret fut découvert. On se chuchotait de proche en proche comment 
        le fils du roi avait été remplacé par un autre, mais 
        bien entendu on n’en parlait pas ouvertement, car il ne fallait 
        pas que le roi eût vent de l’affaire. En effet, le roi aurait 
        été fort embarrassé s’il l’avait appris 
        : comment aurait-il pu remédier à cette situation ? Peut-être 
        le bruit n’était-il pas crédible ? Peut-être 
        était-ce un mensonge ? Comment intervertir à nouveau les 
        rôles ? Pour toutes ces raisons il ne fallait pas mettre le roi 
        au courant. Seul le peuple se murmurait le secret.
 Or il advint un jour que quelqu’un alla dévoiler le secret 
        au fils du roi : il lui rapporta que, selon la rumeur publique, il avait 
        été mis à la place d’un autre. Mais il ne pouvait 
        pas s’enquérir du bien-fondé de ces dires, car cela 
        ne seyait pas à son rang. Du reste comment aurait-il pu s’enquérir 
        d’une telle chose ? L’autre avait pourtant tenu à l’informer 
        à toutes fins utiles. Peut-être qu’un jour une conspiration 
        serait ourdie contre le trône et cette conspiration pourrait se 
        renforcer si elle prenait l’initiative de restituer la royauté 
        au fils du roi, c’est-à-dire à celui dont on disait 
        qu’il était le vrai fils du roi. Aussi fallait-il trouver 
        le moyen de se débarrasser de ce jeune homme.
 Le fils du roi (qui était en fait le fils de la servante) commença 
        à faire pression sur le père du garçon (qui était 
        le vrai fils du roi), et il s’efforça de lui nuire par tous 
        les moyens. Il lui causait toutes sortes de tribulations afin de l’obliger 
        à quitter les lieux en compagnie de son fils. Or, tant que son 
        père était encore en vie, il n’avait pas tellement 
        de pouvoir, ce qui ne l’empêchait pas d’être nuisible. 
        Mais lorsque le roi devenu vieux vint à mourir et que le fils du 
        roi lui succéda sur le trône, il put dès lors nuire 
        davantage au père du garçon. Il ne cessait de lui faire 
        du mal et il le harcelait en secret, de façon à ce qu’on 
        ne sût pas que les pressions venaient de lui, car on aurait pu voir 
        cela d’un mauvais œil. Et donc, tout en restant discret, il 
        ne cessait de lui porter atteinte.
 Le père du garçon comprit pour quelle raison il était 
        en butte à ces tribulations et il raconté à son fils 
        toute l’affaire en disant :
 - Je te plains beaucoup, car si tu es mon fils, je te plains naturellement 
        ; et si tu n’es pas mon fils, mais le vrai fils du roi, tu mérites 
        encore plus qu’on te plaigne, car il veut absolument causer ta perte, 
        ce qu’à Dieu ne plaise. Aussi dois-tu prendre la fuite.
 Le garçon fut très contrarié et 
        fâché. Mais le roi accroissait ses menaces et le garçon 
        décida de s’enfuir. Son père lui donna beaucoup d’argent 
        et il partit. Le fils du roi fut ulcéré d’être 
        ainsi exilé, sans raison, de son Etat, car tout compte fait pourquoi 
        et en vertu de quoi méritait-il d’être expulsé 
        ? « Si je suis le fils du roi, pensa-t-il, je ne mérite certainement 
        pas un tel sort ; et si je ne suis pas son fils, je ne mérite pas 
        non plus d’être contraint sans raison à la fuite. Car 
        quelle est ma faute et quel est mon péché ? » Bref, 
        il était ulcéré, si bien qu’il s’adonna 
        à la boisson et fréquenta les maisons closes. Il voulait 
        passer le restant de ses jours à s’enivrer et à se 
        laisser aller aux impulsions de son cœur, puisqu’il avait été 
        chassé sans motif de chez lui. Quant au roi, il renforça son pouvoir et, quand il entendait des 
        gens qui se chuchotaient la rumeur concernant la substitution, il les 
        punissait et les châtiait. Et il régnait avec violence et 
        tyrannie.
 Il advint qu’un jour, le souverain partit à la chasse avec 
        ses ministres, et ils parvinrent en un lieu délicieux arrosé 
        par un cours d’eau. Ils s’y arrêtèrent pour se 
        reposer et se promener. Le roi s’étendit un peu et il repensa 
        à ce qu’il avait fait en chassant sans modération 
        l’autre garçon : s’il était le fils du monarque, 
        cela ne lui suffisait pas d’avoir été remplacé, 
        il fallait encore qu’il soit expulsé sans raison ! Et s’il 
        n’était pas le fils du roi défunt, il ne méritait 
        pas non plus d’être chassé, car il n’avait rien 
        fait de mal. Le roi ne cessait de penser et de réfléchir 
        à cela et il fut en proie au remords, à la pensée 
        de la faute et de la grande iniquité qu’il avait commises. 
        Il ne savait pas à quoi s’en tenir ni à quel parti 
        s’arrêter, car il était impossible d’en parler 
        avec quiconque pour recevoir des conseils. Et le souverain fut affecté 
        par une grande inquiétude ; il ordonna aux ministres que l’on 
        rebroussât chemin car, maintenant, que l’anxiété 
        l’avait envahi, la promenade n’avait plus aucun sens. Et ils 
        s’en revinrent chez eux.
 Une fois rentré chez lui, le roi trouva naturellement de quoi s’occuper 
        et vaqua à ses affaires, de sorte que son inquiétude ne 
        tarda pas à s’évanouir.
 De son coté, le jeune expulsé (c’est-à-dire 
        le vrai fils du roi) finit par dilapider tous ses deniers. Un jour où 
        il était parti se promener tout seul, il s’étendit 
        pour se reposer. Et il se remémora tout ce qui lui était 
        arrivé. Il pensa : « Dieu ne m’a pas ménagé 
        ! car si je suis le fils du roi, il est évident que je ne mérite 
        pas un sort pareil ; et si je ne suis pas son fils, qu’est-ce qui 
        me vaut d’être fugitif et exilé ? » Puis il réfléchit 
        et se dit : « Mais si Dieu, qu’il soit béni, a pu faire 
        en sorte que le fils du roi soit évincé et qu’il subisse 
        tout cela, est-ce une raison pour se conduire de la sorte ? Est-ce que 
        cette conduite est digne de moi ? » Et il se mit à regretter 
        avec force ce qu’il avait fait, et les mauvaises actions qu’il 
        avait commises lui inspirèrent de violents remords. Puis il revint 
        au logis où il avait élu domicile et recommença à 
        s’enivrer. Mais, comme il avait commencé à donner 
        prise aux regrets, des pensées pleines de remords et de repentir 
        le troublaient à chaque fois.
 Un jour, il se coucha et il rêva que, dans tel endroit, il y avait 
        une foire tel jour, qu’il devait y aller et prendre le premier travail 
        qui lui serait proposé, même s’il ne seyait pas à 
        son rang. A son réveil, il constata que ce songe l’avait 
        profondément impressionné. Mais il lui semblait difficile 
        de se résoudre à un tel parti et il se remit à boire. 
        Il refit plusieurs fois le même rêve et il en fut profondément 
        troublé. Une fois, on lui dit même :
 - Si tu veux avoir la vie sauve, tu dois faire tout cela.
 Alors il se sentit obligé de concrétiser 
        ce rêve. Il laissa donc dans l’auberge ce qui lui restait 
        d’argent ainsi que les vêtements précieux qu’il 
        possédait.  Il se leva de bonne heure et, vêtu de simples habits de marchand, 
        se rendit à la foire. Arrivé sur les lieux, il rencontra 
        un négociant qui lui dit :
 - Veux-tu te faire embaucher pour un travail.
 - Oui, répondit l’autre.
 Et le marchand continua en disant :
 - Je dois convoyer du bétail ; entre donc à mon service.
 Il n’eut pas le loisir de réfléchir car il était 
        influencé par son rêve et il accepta aussitôt. Le forain 
        l’engagea sur-le-champ, et il se mit aussitôt à le 
        traiter comme un maître traite ses serviteurs. C’est alors 
        que le jeune homme réfléchit aux conséquences de 
        son acte. Car assurément ce n’était pas une tâche 
        qui lui convenait : il était bien trop délicat pour cela. 
        Et maintenant il fallait qu’il convoie du bétail et il serait 
        obligé d’aller à pied en compagnie du cheptel. Mais 
        les regrets n’étaient plus de mise, car le marchand lui donnait 
        des ordres impérieux.
 - Comment pourrais-je convoyer tout seul le bétail ? demanda-t-il 
        au commerçant.
 Il lui répondit qu’il avait d’autres bergers qui convoyaient 
        ses troupeaux et qu’il n’avait qu’à se joindre 
        à eux. Et il lui confia quelques bêtes que le jeune homme 
        emmena hors de la ville.
 Là, les autres bergers qui convoyaient le bétail se rassemblèrent 
        et ils se mirent en route tous ensemble. Le garçon conduisait ses 
        bêtes, tandis que le maquignon chevauchait à leurs côtés. 
        Ce marchand se conduisait avec cruauté, et avec le garçon 
        il était encore plus dur qu’avec les autres. Il le redoutait 
        car il était très cruel et manifestait un ressentiment particulier 
        contre lui. Il eut peur de recevoir un coup de bâton et de mourir 
        sur le coup (le fils du roi était de nature très délicate 
        et c’est pour cela qu’il avait tellement peur et qu’il 
        se faisait toutes ces idées).
 Il marchait avec les bêtes et le maquignon était à 
        leurs côtés. Ils arrivèrent quelque part, prirent 
        le sac où était empaqueté le pain des bergers et 
        on procéda à la distribution. Il reçut aussi sa part 
        et la mangea. Ils s’enfoncèrent ensuite dans une forêt 
        extrêmement dense et deux de ses bêtes s’égarèrent 
        dans la forêt. Le marchand l’admonesta et le jeune homme partit 
        les rattraper. Mais elles fuyaient toujours plus loin et il continuait 
        à les poursuivre. Or la forêt était si dense qu’il 
        n’y avait aucune visibilité, et le forain perdit de vue le 
        garçon. Celui-ci continuait sa poursuite, mais les bêtes 
        fuyaient toujours. Il les poursuivit tant et s bien qu’il parvint 
        jusque dans les profondeurs de la forêt. De toute façon, 
        songea-t-il, il était voué à la mort : en effet, 
        s’il revenait sans les bêtes, le marchand le tuerait (car 
        il avait tellement peur du maquignon qu’il pensait véritablement 
        qu’il allait le tuer s’il revenait bredouille) ; mais s’il 
        restait là, il mourrait aussi dévoré par les fauves. 
        Il pensa que, tout compte fait, il n’avait pas intérêt 
        à revenir vers le marchand. Car comment pourrait-il se présenter 
        à lui sans les bêtes ? Il l’appréhendait en 
        effet terriblement. Il alla donc poursuivre à nouveau les bêtes 
        qui s’enfuyaient toujours.
 Entre-temps la nuit était tombée. Or il ne lui était 
        jamais arrivé de devoir passer la nuit tout seul au fond de la 
        forêt. Il entendit les cris des fauves qui rugissaient selon leur 
        habitude. Il avisa la situation et décida de grimper sur un arbre 
        où il passa la nuit. Et il entendait les cris des fauves. Le lendemain 
        matin, il eut la surprise de retrouver les bêtes près de 
        lui. Il descendit de l’arbre pour les attraper, mais elle reprirent 
        leur fuite. Il continua à les poursuivre, mais elles fuyaient toujours 
        plus loin. Quand les bêtes trouvaient de l’herbe pour se nourrir, 
        elles s’arrêtaient et broutaient ; et quand il allait les 
        attraper, elles repartaient en courant.
 Et c’est ainsi qu’il les suivait et qu’elles 
        continuaient à fuir, continuellement, tant et si bien qu’il 
        parvint au plus profond de la forêt, où se trouvaient des 
        fauves qui ne craignent même pas les hommes, éloignés 
        qu’ils sont de tout établissement humain. La nuit tomba et 
        il entendit, avec terreur, le rugissement des fauves.Sur ces entrefaites, il trouva un très grand arbre sur lequel il 
        grimpa. Il y découvrit un homme étendu. Il eut peur, mais 
        il fut tout de même content de trouver un homme en ce lieu. Il lui 
        demanda :
 - Qui es-tu ?
 - Un homme, répondit l’autre. Et toi, qui es-tu ?
 - Un homme.
 - Comment es-tu arrivé ici ?
 Mais il ne voulut pas raconter tout ce qui lui était arrivé 
        et il lui répondit qu’il faisait paître du bétail 
        et que deux des bêtes s’étaient égarées 
        ici. C’est cela qui l’avait amené en ce lieu. Et il 
        demanda à l’homme qu’il avait trouvé sur l’arbre 
        comment il était arrivé en ce lieu. L’autre lui répondit 
        qu’il était venu à cause du cheval qu’il montait 
        ; mais comme il s’était arrêté pour se reposer, 
        son cheval s’était égaré dans la forêt. 
        Et comme il l’avait poursuivi pour le rattraper et que le cheval 
        ne cessait pas de fuir, il avait fini par arriver en ce lieu. Ils décidèrent 
        de s’associer. Et ils se dirent qu’ils resteraient ensemble 
        même après leur retour à la civilisation.
 Ils passèrent la nuit là-bas et ils entendirent les fauves 
        rugir de plus belle. A l’aube, il entendit un rire immense qui retentissait 
        dans toute la forêt : « Ah, ah, ah ! » Ce rire était 
        si puissant qu’il faisait trembler et vaciller l’arbre. Cela 
        jeta le jeune homme dans l’épouvante et il eut très 
        peur. Mais l’homme qu’il avait trouvé là-bas, 
        sur l’arbre, lui dit que cela ne l’effrayait plus du tout, 
        car il dormait en ce lieu. Or depuis plusieurs nuits, toutes les nuits, 
        à l’approche de l’aube, on entendait retentir ce rire 
        qui faisait trembler et vaciller tous les arbres. Epouvanté, le 
        jeune homme demanda à son compagnon :
 - N’est-ce pas un lieu démoniaque ? Car on n’entend 
        pas de tels rires dans les endroits civilisés ! En vérité 
        qui a jamais entendu un rire qui résonne dans le monde entier ?
 Là-dessus, le jour se leva. Ils eurent la surprise 
        de retrouver les bêtes de l’un et le cheval de l’autre. 
        Ils descendirent de l’arbre et se mirent à les poursuivre, 
        qui ses bêtes et qui son cheval. Or le bétail fuyait toujours 
        plus loin au fur et à mesure qu’il le poursuivait, cependant 
        que l’autre poursuivait le cheval qui s’enfuyait ; tant et 
        si bien qu’ils s’éloignèrent l’un de l’autre 
        et se perdirent de vue. Entre-temps le fils du roi trouva un sac de pain, trouvaille capitale 
        dans un lieu désertique. Il prit le sac sur l’épaule 
        et repartit à la poursuite de ses bêtes. C’est alors 
        qu’il rencontra un homme. Il fut d’abord effrayé, mais 
        il ressentit tout de même une certaine joie à la suite de 
        cette rencontre. Il lui demanda comment il était arrivé 
        en ce lieu. Et le fils du roi lui retourna la question en disant :
 - Et toi, comment es-tu arrivé ici ?
 L’autre lui répondit sans arrière-pensée que 
        ses pères et les pères de ses pères avaient grandi 
        ici.
 - Mais toi, fit-il, comment es-tu arrivé ici ? Car en ce lieu nul 
        homme ne saurait venir depuis les régions habitées.
 Alors le jeune homme fut épouvanté ; car 
        il comprit qu’il n’avait pas affaire à un homme. En 
        effet, il avait dit que ses pères avaient grandi ici et avait affirmé 
        par ailleurs que nul homme ne saurait venir en ce lieu depuis les régions 
        habitées. Il en conclut que ce n’était pas du tout 
        un homme. Pourtant l’homme des bois ne fit aucun mal au fils du roi et il 
        le traita même avec cordialité. Et il lui demanda ce qu’il 
        faisait là. Le jeune homme lui répondit qu’il poursuivait 
        du bétail. Alors l’homme lui dit :
 - Arrête de courir après tes fautes. Car ce ne sont pas du 
        tout des bêtes ; ce sont seulement tes fautes et ce sont elles qui 
        te font courir de la sorte. Arrête : tu as déjà reçu 
        ta part, c’est-à-dire ta punition et maintenant tu dois cesser 
        ta poursuite. Viens avec moi et tu seras restitué dans ta dignité 
        première.
 Il le suivit, mais il eut peur désormais de lui parler et de le 
        questionner, car un tel homme pouvait fort bien ouvrir sa bouche et l’engloutir. 
        Il se contenta donc de lui emboîter le pas.
 Sur ces entrefaites, il rencontra son compagnon, celui qui était 
        parti à la poursuite de son cheval. Dès qu’il le vit, 
        il lui fit comprendre que celui qui l’accompagnait n’était 
        pas du tout un homme. Il s’empressa de lui communiquer l’information 
        à l’oreille en lui disant :
 - Cet être est surhumain…
 Alors l’homme au cheval regarda son compagnon et vit qu’il 
        portait un sac de pain sur son épaule. Il se mit à le supplier 
        en disant.
 - Mon frère, je n’ai pas mangé depuis plusieurs jours, 
        donne-moi du pain.
 Et l’autre lui répondit qu’en ce désert, il 
        donnait la priorité à sa propre survie et qu’il devait 
        lutter pour son propre compte. L’autre se mit à le supplier 
        et à l’implorer avec insistance :
 - Je te donnerai ce que je pourrai en échange !
 Et l’autre lui demanda ce qu’il pourrait bien lui proposer 
        en échange du pain dans ce lieu désertique. L’homme 
        au cheval lui répondit :
 - Je te donnerai ma personne tout entière : je me vendrai à 
        toi comme esclave en échange du pain.
 L’homme aux bêtes se dit que l’achat d’un homme 
        valait bien un peu de pain et il l’acquit comme esclave à 
        titre définitif. L’autre lui jura par des serments qu’il 
        le servirait toujours, même lorsqu’ils retourneraient à 
        la civilisation. Mais en échange il devait lui donner du pain, 
        c’est-à-dire qu’ils devaient se partager le pain qui 
        était dans le sac jusqu’à ce que leurs provisions 
        s’épuisent. Ils marchèrent donc à la suite 
        de l’homme des bois, lui et son esclave. L’acquisition de 
        cet esclave lui facilita un peu la vie : quand il fallait ramasser quelque 
        chose ou accomplir quelque tâche, il lui ordonnait de le faire.
 Ils marchaient donc à la suite de l’homme des bois et ils 
        parvinrent en un lieu infesté de serpents et de scorpions. Le jeune 
        homme fut très effrayé et il eut tellement peur qu’il 
        demanda à l’homme des bois comment ils pourraient passer 
        là.
 Et il lui répondit :  - Pourquoi t’inquiètes-tu ? Tu n’as qu’à 
        entrer en ma demeure.
 Il lui désigna sa maison qui était suspendue dans les airs. 
        Et il les fit entrer sains et saufs dans sa maison, les abrita et leur 
        donna nourriture et boisson ; puis il s’en alla.
 Le vrai fils du roi qui avait convoyé les bêtes employait 
        son esclave à toutes sortes de travaux. Or celui-ci fut très 
        contrarié d’avoir proposé de se vendre parce qu’à 
        un certain moment il avait eu besoin de pain pour manger. Car, à 
        présent, ils avaient largement de quoi manger et voici qu’il 
        était devenu esclave à titre définitif. Il se mit 
        à pousser de grands soupirs en disant :
 - Pourquoi en suis-je arrivé à m’être asservi 
        !
 Alors le vrai fils du roi lui demanda :
 - Quelle était ta dignité première pour que tu te 
        plaignes ainsi d’être entré en ma possession ?
 Il lui répondit que jadis il avait été roi, mais 
        qu’on murmurait que c’était un imposteur… Car 
        l’homme au cheval n’était autre que le roi qui était 
        en fait le fils de la servante, celui qui avait chassé le vrai 
        fils du roi. Un jour il avait compris sa faute et il fut saisi de remords. 
        Et il était sans cesse assailli de remords du fait de sa mauvaise 
        action et du grand tort qu’il avait fait à son compagnon. 
        Un jour, il rêva que pour expier cela il devait abdiquer et partir 
        droit devant lui. C’est ainsi qu’il pourrait réparer 
        son péché. Mais il ne voulait pas s’y résoudre. 
        Cependant ces rêves revenaient sans cesse le troubler et le poussaient 
        à s’en aller, il prit finalement une décision : il 
        abdiqua et partit à l’aventure, jusqu’au jour où 
        il arriva en ce lieu. Et maintenant voici qu’il était devenu 
        esclave !
 Le vrai fils du roi écouta tout ce que lui racontait l’homme 
        au cheval qui était maintenant son domestique. Il ne dit mot et 
        réfléchit sur la conduite qu’il tiendrait à 
        présent avec lui.
 La nuit venue, l’homme des bois vint leur apporter nourriture et 
        boisson et ils passèrent la nuit là-bas.
 A l’aube, ils entendirent retentir le rire immense qui faisait trembler 
        tous les arbres. L’esclave incita le vrai fils du roi à demander 
        à l’homme des bois ce que c’était. Celui-ci 
        lui demanda donc quel était ce rire immense qui retentissait à 
        l’approche du matin. Il répondit que c’était 
        le rire du jour qui se riait de la nuit. Car la nuit demande au jour :
 - Pourquoi ta venue éclipse-t-elle ma gloire ?
 Et alors le jour fait retentir un rire immense et la lumière paraît. 
        Tel est le rire que l’on entend retentir à l’aube. 
        La chose l’étonna fort, car il lui paraissait surprenant 
        et étrange que le jour se rie de la nuit. Mais il n’osa pas 
        poser d’autres questions, car les réponses étaient 
        déroutantes.
 Le lendemain matin, l’homme des bois repartit et ils déambulèrent 
        et burent. Et quand il revint le soir venu, ils mangèrent, burent 
        et se couchèrent.
 La nuit, ils entendirent les cris des fauves qui poussaient tous des rugissements 
        aux sonorités étranges. Car tous les animaux et tous les 
        oiseaux faisaient retentir leurs cris au même moment : le lion rugissant 
        à sa façon, le tigre feulait d’une autre façon. 
        Quant aux oiseaux, ils jacassaient et gazouillaient à leur façon, 
        de sorte que tous poussaient des cris différents. Au début, 
        ils étaient épouvantés et ils n’écoutaient 
        pas les cris d’une oreille attentive, tant ils avaient peur. Puis 
        ils tendirent l’oreille, écoutèrent et ils reconnurent 
        que c’était une musique et que les animaux faisaient résonner 
        une belle mélodie, tout à fait merveilleuse. En écoutant 
        plus attentivement, ils constatèrent que c’était un 
        hymne et une musique d’une beauté prodigieuse, et que c’était 
        un plaisir sublime et immense de l’écouter. Car tous les 
        plaisirs du monde n’étaient rien, ils étaient insignifiants 
        et nuls comparés au grand et magnifique plaisir qu’offrait 
        cette musique.
 Ils se concertèrent et décidèrent de rester en ce 
        lieu. Car ils avaient à boire et à manger et ils jouissaient 
        de cette satisfaction merveilleuse au regard duquel toutes les jouissances 
        paraissaient nulles. L’esclave incita son maître à 
        interroger l’homme des bois qui lui répondit :
 - Comme le soleil a fait un vêtement à la lune, tous les 
        animaux de la forêt remercient la lune pour les grands bienfaits 
        qu’elle leur prodigue, car la nuit est le domaine de prédilection 
        des bêtes. En effet, elles doivent parfois pénétrer 
        dans les endroits civilisés, mais cela est impossible le jour. 
        Et il s’avère donc que la nuit est leur domaine de choix. 
        0r la lune leur rend service, car elle les éclaire. Ils se sont 
        donc mis d’accord pour faire retentir une mélodie nouvelle 
        en l’honneur de cet astre.
 C’était donc là cette mélodie suave et merveilleuse, 
        cette innovation prodigieuse ! et l’homme des bois dit encore :
 - pourquoi pensez-vous que ce soit une innovation ? J’ai un instrument 
        de musique qui m’a été légué par mes 
        pères qui le tenaient eux-mêmes de leurs pères : il 
        est fait de feuilles et de diverses couleurs et quand on le met sur une 
        bête ou sur un oiseau, il se met aussitôt à jouer cette 
        mélodie.
 Puis le rire retentit à nouveau et le jour parut.
 L’homme des bois repartit et le vrai fils du roi se mit à 
        la recherche de l’instrument. Il fouilla toute la chambre, mais 
        ne le trouva pas. Il n’osa pas continuer ses recherches. Et les 
        deux jeunes gens, c’est-à-dire le vrai fils du roi et l’esclave 
        qui était le fils de la servante et qui avait été 
        roi, craignaient de demander à l’homme des bois de les conduire 
        vers un endroit habité.
 L’homme des bois revint et il leur annonça qu’il allait 
        les reconduire dans un lieu habité. Il les conduisit donc vers 
        un endroit habité ; il prit aussi l’instrument de musique 
        et le donna au vrai fils du roi en lui disant :
 « Je te donne l’instrument. Et avec celui-là (l’esclave 
        qui était le fils de la servante) sache comment te comporter. »
 Et il lui demanda où ils devaient aller. Il leur dit de partir 
        à la recherche de la cité qu'on appelait « la cité 
        stupide au roi sage ». Ils lui demandèrent alors par où 
        ils devaient commencer leurs recherches. Il leur montra du doigt la direction. 
        Et l’homme des bois dit au vrai fils du roi :
 - Va dans cette ville et tu y retrouveras ta grandeur.
 Ils se mirent en route. En chemin, ils voulurent à tout prix trouver 
        quelque bête ou quelque animal domestique pour essayer de lui faire 
        jouer de l’instrument. Mais ils ne virent aucune bête. Une 
        fois qu’ils eurent pénétré davantage dans les 
        zones habitées, ils trouvèrent un animal domestique. Ils 
        mirent sur lui l'instrument et il se mit à jouer cette mélodie. 
        Puis ils marchèrent tant et si bien qu’ils parvinrent à 
        la cité qu’ils cherchaient.
 Or celle-ci était entourée d’une muraille et on ne 
        pouvait entrer que par une seule porte. Ils devaient parcourir plusieurs 
        lieues pour y arriver. Ils se mirent donc en marche et firent le tour 
        jusqu’au moment où ils parvinrent devant la porte. Une fois 
        qu’ils y furent parvenus, on ne voulut pas les laisser entrer. En 
        effet le roi était mort et il avait laissé un fils. Mais 
        il avait demandé dans son testament que dorénavant « 
        la cité stupide au roi sage » devait s’appeler « 
        la cité sage au roi stupide ». Et celui qui prendrait sur 
        lui de restituer à la cité son ancien nom, de sorte que 
        la cité s’appelle à nouveau « la cité 
        stupide au roi sage », celui-là deviendrait roi. Voilà 
        pourquoi nul ne pouvait entrer dans la cité, si ce n’est 
        celui qui prendrait sur lui de lui restituer son nom. On lui demanda donc 
        s’il était en mesure d’accomplir ce changement. Or 
        il en était naturellement incapable.
 Il ne put donc pas y pénétrer. L’esclave insista pour 
        qu’ils s’en revinssent chez eux. Mais il ne voulait pas s’en 
        retourner si vite, car l’homme des bois lui avait dit d’aller 
        dans cette ville où il devait retrouver sa grandeur passée. 
        Entre-temps, un autre homme arriva sur les lieux. C’était 
        un cavalier et il demanda à entrer. On ne le laissa pas non plus 
        y accéder pour la même raison. Voyant que le cheval de cet 
        homme se tenait là, il prit l’instrument de musique et le 
        mit sur le cheval. Et il se mit à jouer la mélodie merveilleuse. 
        Le cavalier demanda avec insistance qu’on lui vendît l’instrument. 
        L’autre lui opposa :
 - Que pourras-tu me donner en échange d’un instrument aussi 
        merveilleux ?
 Le cavalier répliqua :
 - Et toi, quel usage pourras-tu donc retirer de cet instrument ? Veux-tu 
        t’exhiber avec lui en public pour recevoir quelques deniers ? Moi, 
        je fais quelque chose qui vaut bien plus que cet instrument. C’est 
        un don que j’ai reçu de mes ancêtres et qui me permet 
        de comprendre une chose à partir d’une autre. Ainsi, quand 
        quelqu’un dit quelque chose, on peut, grâce à cette 
        faveur que j’ai reçue, déduire une chose à 
        partir d’une autre. Jamais encore je n’avais révélé 
        cela à quiconque. Et donc je me propose de t’enseigner cela 
        en échange de cet instrument.
 Quand le vrai fils du roi fut en mesure de comprendre une chose à 
        partir d’une autre, il se rendit à nouveau à la porte 
        de la ville et il comprit alors qu’à la vérité 
        il pourrait bien prendre sur lui de restituer à la cité 
        son premier nom ; la chose lui parut possible, même s’il ne 
        savait pas encore comment opérer ce retour. Il décida donc 
        de demander qu’on le laissât entrer. Qu’avait-il à 
        perdre en somme ? Et, une fois en présence de ceux qui n’avaient 
        pas voulu le laisser s’introduire, il prononça le premier 
        nom.
 On le laissa pénétrer et on fit savoir aux ministres qu’il 
        y avait là un homme qui voulait bien accomplir la mission qu’on 
        attendait. Et on le fit paraître devant les ministres de la cité 
        qui lui dirent :
 - Sache que nous-mêmes, nous sommes loin d’être stupides, 
        qu’à Dieu ne plaise ; mais le roi défunt était 
        d’une sagesse si prodigieuse que comparés à lui nous 
        passions tous pour des sots. Aussi appela-t-on cette ville « cité 
        stupide au roi sage » A sa mort, le roi laissa un fils. Ce fils 
        aussi est avisé, mais comparé à nous, il n’a 
        aucune sagesse. Voilà pourquoi on appelle désormais la ville 
        « la cité sage au roi stupide ». Or le roi a ordonné, 
        dans son testament, que le jour où il se trouverait quelqu’un 
        d’assez éclairé pour restituer à la cité 
        son premier nom, celui-là deviendrait roi. A son fils il demanda 
        d’abdiquer lorsqu’il se trouverait un homme de cette envergure. 
        C’est-à-dire que, lorsqu’il se trouverait un sage d’une 
        science si prodigieuse que, comparés à lui, tous paraissent 
        stupides, cet érudit deviendrait roi. Car cet homme-là restituerait 
        à la cité son premier nom. Sache donc dans quelle entreprise 
        tu te lances et quelle tâche tu dois assumer.
 Et ils ajoutèrent :
 - Pour éprouver ta sagesse, nous procéderons de la manière 
        suivante : le roi défunt qui fut un grand sage a laissé 
        un jardin à sa mort ; ce jardin est tout à fait prodigieux, 
        car il y a pousse des ustensiles de métal, des ustensiles d’or 
        et d’argent : une vraie merveille ! Mais il est impossible d’y 
        entrer. Car dès qu’un homme y entre, il est aussitôt 
        poursuivi, et il pousse des cris et il ne sait absolument pas qui est 
        à ses trousses : ses poursuivants sont invisibles. Et on le pourchasse 
        jusqu’à ce qu’il s’enfuie du jardin. Donc, voyons 
        si tu es sage, si tu peux entrer dans ce jardin.
 Le vrai fils du roi demanda si l’intrus recevait des coups. On lui 
        répondit qu’on donnait seulement la chasse à l’intrus, 
        que celui-ci ne savait pas qui étaient ses persécuteurs 
        et qu’il était contraint de fuir dans la plus grande panique. 
        Tels étaient les récits que leur avaient fait ceux qui avaient 
        pénétré dans ce jardin.
 Le vrai fils du roi se leva et se dirigea vers le jardin. Il vit qu’il 
        y avait une muraille tout autour, que le portail était ouvert et 
        qu’il n’y avait pas de gardiens. Car naturellement un tel 
        jardin n’avait pas besoin de gardes. Il y pénétra, 
        jeta un coup d’œil et vit qu’un homme se tenait à 
        l’entrée du jardin, ou plutôt une statue d’homme. 
        Il regarda à nouveau et vit qu’au-dessus de cette statue 
        se dressait une stèle sur laquelle était écrit que 
        cet homme avait été roi plusieurs siècles auparavant. 
        Son règne avait été pacifique. Avant lui, il y avait 
        eu des guerres et, après sa mort, elles recommencèrent. 
        Mais son règne fut une ère de paix.
 Comme le vrai fils du roi comprenait à présent 
        une chose à partir d’une autre, il comprit que tout dépendait 
        de ce roi et que, quand on entrait dans le jardin et qu’on se faisait 
        poursuivre, il était inutile de fuir. Il fallait seulement rester 
        près de cette effigie et c’est ainsi qu’on trouvait 
        le salut. En outre, si on prenait ce mannequin et qu’on le postait 
        à l’intérieur du parc, n’importe qui pourrait 
        y entrer en toute sécurité. Il pénétra donc 
        dans le clos. Et dès qu’on se mit à le poursuivre, 
        il alla se poster près de la statue qui se tenait à l’extérieur, 
        à l’entrée du jardin. Et grâce à ce stratagème, 
        il sortit absolument indemne. Ceux qui avaient fréquenté 
        le jardin et qui s’étaient fait poursuivre avaient fui dans 
        la plus grande panique et s’étaient fait mal. Mais lui sortit 
        sain et sauf, dans la sérénité, parce qu’il 
        s’était posté à côté de cette 
        représentation humaine.  Alors le vrai fils du roi ordonna qu’on prît 
        ce mannequin et qu’on le postât à l’intérieur 
        du jardin. Ainsi fut fait. Et depuis lors, tous les ministres purent entrer 
        dans le jardin, le parcourir et en sortir sains et saufs. Les ministres lui dirent :
 - Bien que nous ayons vu ce que tu as fait, nous ne pouvons tout de même 
        pas te confier la royauté en vertu de cette seule chose. Nous allons 
        te mettre une nouvelle fois à l’épreuve.
 Et ils ajoutèrent :
 - Le roi défunt avait un trône. Ce trône est très 
        élevé et il est environné de toutes sortes d’animaux 
        et d’oiseaux sculptés dans le bois. Et devant le trône 
        il y a un lit, et à côté se dresse une table sur laquelle 
        est posée une lampe. Et du trône sortent des chemins tracés 
        qui sont construits en pierre et, sortant du trône, ils partent 
        dans toutes les directions. Or personne ne sait ce que signifie ce trône 
        avec ces chemins. A une certaine distance, ces chemins mènent à 
        un lion d’or. Et, si un homme s’en approche, le lion d’or 
        ouvre sa gueule et l’engloutit. Après ce lion, le chemin 
        continue et il en va de même pour les autres sentiers qui partent 
        du trône : car il y a la même chose sur le deuxième 
        chemin qui part du trône et aboutit dans une autre direction. Au 
        bout d’une certaine distance, on rencontre un autre fauve, un tigre 
        de métal, qu’il est également impossible d’approcher. 
        Et après le tigre, le chemin continue. Et il en va de même 
        pour tous les autres chemins. Or ces routes se prolongent dans toute la 
        cité. Mais personne ne comprend la signification de ce trône, 
        de ces chemins et de tout le reste. Telle est donc l’épreuve 
        qui t’est imposée : il faut que tu découvres la signification 
        du trône et de tout ce qui l’entoure.
 Ils lui montrèrent le trône. Il vit qu’il 
        était très élevé…. se dirigea dans sa 
        direction, observa et comprit que ce trône était fait avec 
        le même bois que la boîte, c’est-à-dire avec 
        le même bois que l’instrument qui lui avait été 
        donné par l’homme des bois.  En regardant à nouveau, il s’aperçut 
        qu’il manquait une rose dans la partie supérieure du trône. 
        Or si cette rose s’était trouvée sur le trône, 
        il aurait eu la même propriété que cet instrument 
        qui pouvait jouer de la musique quand on le mettait sur toute espèce 
        de bêtes sauvages, d’animaux domestiques ou d’oiseaux. 
        Il observa à nouveau et il vit que la rose qui manquait dans la 
        partie supérieure du trône était placée en 
        bas du siège. Il fallait donc la prendre en bas et la mettre en 
        haut et alors le trône aurait la propriété de la boîte 
        à musique. Car le roi, qui faisait toute chose avec sagesse, avait 
        tout dissimulé afin que personne ne comprenne ce que cela signifiait, 
        jusqu’à l’arrivée d’un sage exceptionnel 
        qui percerait la signification de tout cela et qui, moyennant certaines 
        permutations, pourrait replacer tous ces éléments dans le 
        bon ordre.  Quand au lit, il comprit qu’il fallait le déplacer 
        légèrement. De même avec la table et avec la lampe. 
        Et les oiseaux et les animaux aussi, il fallait modifier leur disposition 
        et intervertir leurs places. Bref, la disposition de toutes ces choses 
        devait être changée, car le roi avait fait exprès 
        de tout cacher afin que personne ne comprenne son intention, jusqu’à 
        l’arrivée d’un homme avisé qui pourrait comprendre 
        et disposer tout cela dans le bon ordre. Quant au lion qui se tenait là-bas, 
        à la bifurcation du chemin, il devait aussi le changer de place. 
        Tout devait être déplacé et il ordonna que tout fût 
        remis dans le bon ordre : que la rose qui était en bas fût 
        placée en haut et qu’on replace toute chose selon une disposition 
        différente en remettant tout dans le bon ordre. Quand il eut fait cela, tous les animaux se mirent à 
        jouer la belle et merveilleuse mélodie. Et tous firent ce qui convenait 
        et on lui donna la royauté. Alors le vrai fils du roi dit au vrai fils de la servante 
        : - Maintenant, je comprends que je suis en vérité le fils 
        du roi et que tu es, toi, le fils de la servante.
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