L’EMPEREUR
ET LE ROI
Rabbi Na’hman
1
Il était une fois un empereur qui n’avait pas d’enfant,
et un roi qui, lui non plus, n’avait pas d’enfant. L’empereur
décida de parcourir le monde, s’étant dit qu’il
trouverait peut-être quelque conseil ou quelque remède pour
avoir des enfants. Quant au roi, il décida, lui aussi, de parcourir
le monde.
Le roi et l’empereur se rencontrèrent dans
une auberge, mais ils ne se connaissaient pas. Cependant, l’empereur
reconnut le roi, car ce dernier avait des manières royales. Il
l’interrogea et le roi avoua qu’il était bien un roi.
Et lui aussi avait remarqué que son interlocuteur avait des manières
royales et l’empereur confirma son impression. Ils se racontèrent
qu’ils voyageaient pour avoir des enfants. Ils convinrent que si
à leur retour leurs épouses avaient, qui une fille, qui
un garçon, ils marieraient les enfants l’un à l’autre.
L’empereur rentra chez lui et eut une fille : le roi rentra chez
lui et eut un garçon. Mais l’arrangement fut oublié.
L’empereur envoya sa fille étudier, et le roi envoya son
fils étudier. Les deux enfants arrivèrent chez un précepteur
et ils tombèrent amoureux l’un de l’autre. Ils décidèrent
d’un commun accord de se marier. Le prince prit un bague, la passa
au doigt de la princesse et ils se marièrent. Plus tard, l’empereur
envoya chercher sa fille et la fit ramener à la maison. Le roi
envoya chercher son fils qu’il fit ramener à la maison.
On fit un arrangement de mariage pour la fille de l’impératrice,
mais elle n’en voulut point, à cause de son lien avec le
prince. Quant à lui, il éprouvait beaucoup de nostalgie
pour elle. La princesse était toujours triste et l’empereur
lui fit visiter sa cour, ses palais, lui montrant sa magnificence et la
princesse était toujours triste. Le prince éprouvait beaucoup
de nostalgie pour elle et finit par en tomber malade.
Quand on lui demandait : « Pourquoi es-tu malade ? » Il ne
voulait pas répondre. On dit à son serviteur : « Peut-être
réussiras-tu à la faire parler » ? Le serviteur répondit
: « Je sais ». Il avait accompagné le prince chez le
précepteur et savait pourquoi le prince était malade. Il
leur dévoila l’histoire. Le roi se souvint alors qu’il
avait conclu un arrangement avec l’empereur, il y avait bien longtemps.
Il demanda par écrit à l’empereur de faire les préparatifs
de mariage, car l’arrangement avait été conclu depuis
longtemps. Mais l’empereur ne voulait plus de l’arrangement.
Cependant, comme il ne voulait pas froisser le roi, il lui envoya une
lettre dans laquelle il lui demandait de lui envoyer son fils, pour voir
s’il était capable de diriger les affaires d’un pays.
Le roi envoya son fils chez l’empereur, qui l’installa dans
une chambre. Il lui fournit des documents concernant les affaires de l’état,
afin de voir s’il était capable de diriger le pays. Le prince
languissait de voir la princesse, mais il lui était impossible
de la rencontrer. Alors qu’il se promenait un jour le long d’un
mur de miroirs il aperçut la princesse et s’évanouit.
Elle se rendit auprès de lui, elle lui redonna courage et lui déclara
qu’elle ne voulait pas d’autre parti que lui à cause
du lien qui les unissait. Il lui dit alors : « Que faire ? Ton père
n’est pas d’accord ». Elle lui répondit que,
quoiqu’il en fût, elle resterait quand même avec lui.
Et ils décidèrent de partir sur les mers. Ils achetèrent
un navire et partirent loin sur les mers.
Ils voguèrent, puis voulurent aborder à un rivage. Ils arrivèrent
en vue d’un rivage où se dressait une forêt. Ils débarquèrent
et pénétrèrent dans la forêt. La princesse
enleva sa bague qu’elle donna au prince et s’étendit
pour dormir. Lorsque le prince vit qu’elle allait se réveiller,
il posa la bague près d’elle. Puis ils revinrent au navire.
Alors, la princesse se souvint qu’ils avaient oublié la bague
dans la forêt et envoya le prince pour la récupérer.
Il partit mais ne put retrouver l’endroit. Il avança plus
loin mais sans trouver la bague. Il chercha d’un endroit à
l’autre et finit par se perdre, sans pouvoir retourner au rivage.
La princesse partit à sa recherche et se perdit. Quant au prince,
il avait continué à errer et avait aperçu un chemin.
Il l’emprunta et arriva dans un village. N’ayant rien à
faire, il devint serviteur.
La princesse erra puis décida de s’installer au bord de la
mer. Elle revint au rivage. Sur le rivage poussaient des arbres fruitiers.
Elle s’installa. Dans le journée elle parcourait le rivage,
espérant trouver quelqu’un. Elle vivait de fruits et la nuit,
elle grimpait dans un arbre pour être à l’abri des
bêtes sauvages.
2
Il était une fois un marchand très important qui faisait
du commerce dans le monde entier. Il avait un fils unique, et le marchand
était déjà vieux. Un jour, son fils lui dit : «
Etant donné que tu es vieux et que je suis encore jeune et que
tes gens de confiance ne font pas attention à moi, que va-t-il
se passer ? Si tu meurs et que je reste seul, je ne saurai pas quoi faire.
Donne-moi donc un navire et des marchandises. Je partirai sur les mers
pour devenir habile au commerce ». Son père lui ayant donné
un navire et des marchandises, il visita plusieurs pays, vendit ses marchandises,
en acheta d’autres et réussit.
Alors qu’il était en mer, il aperçut
les arbres où habitait la princesse. L’équipage pensait
que c’était un endroit habité et voulut y aborder.
En s’approchant, ils s’aperçurent que ce n’étaient
que des arbres et voulurent faire demi-tour. Mais le fils du marchand
regarda dans la mer et vit un arbre au sommet duquel était assise
une forme humaine. Il se dit qu’il se trompait peut-être et
en parla à ses hommes. Ils regardèrent et virent aussi une
forme humaine dans l’arbre. ils décidèrent de s’approcher.
Ils envoyèrent l’un d’entre eux dans une barque et
gardèrent les yeux fixés sur l’eau pour que le messager
puisse arriver jusqu’à l’arbre. Le messager arriva
près de l’arbre et vit qu’un homme y habitait. Il en
informa ses camarades. Le fils du marchand se rendit près de l’arbre
et vit la princesse. Il lui dit de descendre. Elle lui répondit
qu’elle ne viendrait pas à bord de son navire tant qu’il
ne lui ferait pas la promesse de ne pas la toucher jusqu’à
ce qu’il fût rentré chez lui et qu’ils fussent
mariés. Il lui fit la promesse et la princesse se rendit à
bord du navire. Le fils du marchand remarqua qu’elle était
musicienne et connaissait plusieurs langues. Il se réjouit beaucoup
de l’avoir rencontrée.
Alors qu’ils approchaient de chez lui, elle lui indiqua la marche
à suivre. Il devait rentrer chez lui, informer son père,
sa famille et ses amis qu’il ramenait une dame noble, et leur dire
de venir tous à sa rencontre. Alors, il saurait qui elle était.
(Elle avait auparavant posé la condition suivante : il ne devait
pas chercher à savoir qui elle était ; il le saurait après
leur mariage). Il consentit à tout cela.
Elle lui dit encore : tu dois aussi donner à boire à tous
les matelots du navire et leur faire savoir que leur patron se marie avec
une grande dame ». Il lui obéit. Il prit du meilleur vin
qu’il avait à bord et en donna aux matelots, qui s’enivrèrent.
Le fils du marchand rentra chez lui pour informer son père et ses
amis. Les matelots qui s’étaient enivrés descendirent
à terre et s’écroulèrent d’ivresse. Pendant
ce temps, la famille du marchand s’apprêtait à venir
accueillir la princesse.
La princesse largua les amarres, déploya les voiles et partit à
bord du navire. La famille se rendit à l’endroit où
le navire devait être amarré, mais ne le trouva pas. Le marchand
fut très en colère contre son fils. Ce dernier s’écria
: »Crois-moi, j’ai rapporté un navire et des marchandises
! » Mais sa famille ne vit rien. Il dit : « Demandez aux matelots
! » Le père partit les interroger. Ils étaient couchés
par terre, ivres. Finalement ils se relevèrent et on les interrogea.
Ils ne comprenaient pas ce qui ce passait. Tout ce qu’ils savaient,
c’était qu’on avait rapporté un navire plein
de marchandises. Mais ils ne savaient pas où il était. Le
marchand fut très en colère et chassa son fils de chez lui,
le bannit de sa vue. Le fils partit et erra. Quant à la princesse,
elle était partie sur la mer.
3
Il était une fois un roi qui s’était fait construire
des palais sur la mer, car il aimait l’air marin. Des navires passaient
au large des ses palais. La princesse qui parcourait les mers passa près
du palais du roi. Le roi regarda et vit un navire qui voguait sans direction
et à bord duquel il n’y avait personne. Il pensa qu’il
se trompait. Il ordonna à ses gens de regarder et ils virent la
même chose que lui.
La princesse, qui s’était approchée du palais, pensa
: « Qu’ai-je à faire d’un palais ? » et
manœuvra pour repartir. Le roi la vit alors et envoya ses gens pour
la ramener chez lui. Puis il la fit entrer chez lui.
Le roi n’avait pas de femme car il n’arrivait pas à
faire un choix. En effet, celle qu’il désirait ne voulait
pas de lui, et vice-versa. Lorsque la princesse entra chez lui, elle lui
demanda de jurer qu’il ne la toucherait pas avant qu’ils fussent
mariés selon la loi. Il jura. Puis elle lui dit qu’il ne
devait pas ouvrir son navire ni y toucher et que le navire devait rester
en mer jusqu’au mariage, afin que chacun sût qu’elle
avait apporté des marchandises et ne dise pas que le roi avait
pris une femme de la rue. Il le lui promit.
Le roi envoya des lettres dans tous les pays pour que l’on vînt
à son mariage. Puis il fit construire des palais pour la princesse
qui ordonna qu’on lui trouvât onze filles de princes qui seraient
ses suivantes. Le roi donna un ordre et on lui envoya onze filles de princes,
ministres de haut rang. On fit bâtir pour elles onze palais privés,
et la princesse avait aussi son palais privé. Les dames de compagnie
rendaient visite à la princesse, faisaient de la musique et jouaient
avec elle.
Elle leur dit un jour qu’elle désirait partir en mer avec
elles. Elles partirent sur le navire et jouèrent. La princesse
leur dit qu’elle voulait leur offrir du vin qu’elle avait
à bord. Elle leur donna donc du vin. Elles s’enivrèrent,
tombèrent et restèrent allongées. Alors, la princesse
défit les amarres, déploya les voiles et le navire prit
la mer.
Le roi et ses gens s’aperçurent que le navire de la princesse
n’était plus là, et ils furent très effrayés.
(Le roi ne savait pas que la princesse s’était enfuie. Il
la croyait dans son palais). Le roi dit à ses gens : « Veillez
à ne pas lui annoncer la nouvelle brutalement, car cela l’attristerait
beaucoup ». Il craignait que la princesse ne pensât qu’il
eut lui-même fait partir le navire. Il donna l’ordre d’envoyer
une des dames de compagnie annoncer la nouvelle à la princesse
avec tact. On se rendit dans une des chambres et on ne trouva personne.
Il en fut de même dans la chambre suivante : personne. On ne trouva
âme qui vive dans les onze chambres. Le roi et ses gens décidèrent
d’attendre la nuit et d’envoyer une vieille femme annoncer
la nouvelle à la princesse. On se rendit dans sa chambre où
on ne trouva personne non plus. Le roi et ses gens eurent très
peur.
Entre-temps, les pères des dames de compagnie avaient remarqué
qu’ils ne recevaient pas de lettres de leurs filles. Il envoyaient
des lettres et on ne leur répondait pas. Ils se rendirent chez
leurs filles et ne trouvèrent aucune d’entre elles. Ils furent
très en colère. Comme ils étaient ministres du royaume,
ils voulurent bannir le roi. Mais ils se dirent : « En quoi le roi
est-il coupable et mérite-t-il une telle punition ? Il n’est
pas vraiment fautif. » On décida cependant de le faire abdiquer
et de le chasser. Il fut renversé et on le chassa. Et le roi partit.
La princesse s’était donc enfuie sur son navire. Les dames
de compagnie finirent par se réveiller et recommencèrent
à jouer avec la princesse. Elles ne savaient pas que le navire
était déjà loin de la côte. Elles dirent à
la princesse : « Rentrons à la maison ! » Elle leur
répondit : « Restons ici encore un peu ! » Puis un
vent de tempête se leva. Elles répétèrent :
« Rentrons à la maison ! » Elle leur avoua que le navire
était déjà très loin de la côte. Elles
lui demandèrent : « Pourquoi as-tu fait cela ? » Elle
leur répondit qu’elle avait craint que le navire ne se brisât
à cause de la tempête. C’était la raison pour
laquelle elle avait agi ainsi.
La princesse et ses dames de compagnie continuèrent donc leur voyage
en mer, tout en faisant de la musique. Elles passèrent au large
d’un palais. Les dames de compagnie dirent à la princesse
: « Allons vers ce palais ! » Elle leur répondit qu’elle
ne le voulait pas car elle regrettait déjà de s’être
approchée de celui du roi.
Plus tard elles aperçurent quelque chose qui ressemblait à
une île. Elles s’y rendirent et rencontrèrent douze
voleurs qui voulurent les tuer. La princesse demanda aux voleurs : «
Quel est le plus important d’entre vous ? » Ils le lui indiquèrent.
Elle dit au voleur : « Que faites-vous ? » Il lui répondit
qu’ils étaient voleurs. Alors elle dit : « Nous sommes
aussi des voleurs, mais alors que vous êtes des voleurs grâce
à votre force, nous sommes des voleurs grâce à notre
sagesse, car nous connaissons les langues et nous sommes musiciennes.
A quoi bon nous tuer. Prenez-nous plutôt pour femmes et vous aurez
en plus de grandes richesses ». Et elle leur montra ce qu’elle
avait à bord du navire, car le navire était celui du fils
du marchand qui avait beaucoup de richesses. Les voleurs écoutèrent
ses paroles. Ils montrèrent à la princesse leurs richesses
et firent visiter l’île à la princesse et ses suivantes.
Puis tous décidèrent d’un commun accord de ne pas
s’épouser en même temps, mais l’un après
l’autre. Chacun choisirait la dame qui lui convenait selon son rang.
La princesse leur dit qu’elle leur ferait l’honneur de leur
donner du bon vin qu’elle avait à bord de son navire. Elle
leur dit qu’elle n’avait jamais utilisé ce vin qui
était resté caché jusqu’à ce que Dieu
lui envoie le compagnon qu’elle méritait.
Elle leur versa du vin dans douze gobelets et dit : « Que chacun
boive à la santé de tous ! » Ils burent, s’enivrèrent
et s’écroulèrent. Elle appela ses dames de compagnie
et leur dit : « Maintenant, que chacune aille tuer son homme ! »
Et elles les tuèrent tous. Sur l’île, elles trouvèrent
de grandes richesses, comme aucun roi n’en a jamais possédées.
Elles décidèrent de ne prendre ni cuivre ni argent ; seulement
l’or et les pierres précieuses. Elles jetèrent par
dessus bord tout ce qui n’avait pas grande valeur et chargèrent
le navire avec des objets précieux, l’or et les pierres précieuses
qu’elles avaient trouvés sur l’île. Elles décidèrent
de ne plus porter de vêtements féminins, et se cousirent
des habits d’homme à la mode allemande. Puis, elles repartirent
avec le navire.
4
Il était une fois un roi qui avait un fils unique. Il l’avait
marié et lui avait donné son royaume. Un jour, le prince
annonça à son père qu’il partait se promener
en mer avec sa femme, car il voulait qu’elle s’habitue à
l’air marin au cas où il leur serait nécessaire un
jour de s’enfuir par mer. Le prince monta à bord d’un
navire avec sa femme et les grands du royaume et ils partirent. Il étaient
joyeux et s’amusaient. Ils décidèrent tous d’enlever
leurs vêtements et il ne leur resta plus que leurs sous-vêtements.
Puis ils essayèrent de voir qui serait capable de grimper jusqu’en
haut du mât. Le prince aussi grimpa en haut du mât.
Entre-temps, la princesse qui était à bord de son navire
aperçut le navire du prince. Elle eut d’abord peur de s’approcher.
Elle s’approcha quand même un peu, et voyant qu’on s’amusait
beaucoup sur ce navire, elle comprit que ce n’était pas un
navire pirate. Elle fit approcher son navire un peu plus et dit à
son entourage : « Je suis capable de faire tomber ce chauve dans
la mer » (c’est-à-dire le prince qui était grimpé
en haut du mât et qui était chauve). Les dames de compagnie
lui demandèrent : « Comment est-ce possible ? Ils sont si
loin de nous ! » Elle leur dit alors qu’elle possédait
une lentille capable de faire brûler, grâce à laquelle
elle ferait tomber le prince dans la mer. Elle décida d’attendre
que le prince eût atteint le haut du mât pour le faire tomber,
car tant qu’il était à mi-chemin, s’il tombait,
ce serait sur le pont. Mais s’il était à la pointe
et tombait, il tomberait dans la mer. Elle attendit qu’il fût
à la pointe du mât, puis elle saisit la lentille et la dirigea
vers le cerveau du prince jusqu’à le brûler. Le prince
tomba dans la mer.
Alors, ce fut la panique à bord de son navire.
Personne ne savait quoi faire. Comment rentrer ? Le roi mourrait de chagrin.
On décida de se porter à la rencontre du navire de la princesse
qu’on apercevait. Il se trouverait peut-être à bord
un médecin susceptible de leur donner quelque conseil. Ils s’approchèrent
et dirent aux hommes qui étaient à bord du navire de la
princesse de ne pas avoir peur, car ils ne leur feraient rien. Ils leur
demandèrent : « Peut-être avez-vous à bord un
docteur qui puisse nous conseiller ? » Et ils racontèrent
toute l’histoire, à savoir que le prince était tombé
dans la mer. La princesse leur dit d’aller le repêcher. Ils
partirent, retrouvèrent le prince et le sortirent de l’eau.
La princesse prit le pouls du prince et déclara que le cerveau
du prince avait été brûlé. On découpa
son crâne et on vit qu’elle avait dit juste. Les gens du prince
furent effrayés car c’était pour eux une grande merveille
que le docteur (la princesse) eût deviné juste. Ils l’implorèrent
de venir chez eux en leur compagnie. Elle serait docteur du vieux roi
qui la chérirait beaucoup. Elle ne voulut pas et leur dit qu’elle
n’était pas docteur, elle savait seulement quelques petites
choses. Mais les gens du prince ne voulaient pas rentrer chez eux.
Les deux navires voguèrent de conserve. Les grands du royaume auraient
aimé que leur reine (la femme du prince) épousât le
docteur car ils avaient compris que le docteur était très
savant (ils pensaient que la princesse était un docteur parce qu’elle
portait des vêtements masculins). C’est pourquoi ils désiraient
que la reine épousât le docteur et que ce dernier fût
leur roi. Quant au vieux roi, le père du prince, ils le tueraient.
Mais ils avaient honte de proposer à la reine d’épouser
le docteur. La reine, elle aussi, désirait beaucoup l’épouser,
cependant elle avait peur qu’on ne voulût pas de lui pour
roi dans son pays.
On décida donc de donner un banquet, de telle sorte qu’après
avoir bu, alors qu’on était très joyeux, on puisse
en discuter. On fit un banquet pour tout le monde. Comme c’était
le banquet du docteur (c’est-à-dire de la princesse), il
leur donna du vin qu’il possédait et tous s’enivrèrent.
Au beau milieu des réjouissances, les ministres du royaume s’écrièrent
que si la reine épousait le docteur, ce serait merveilleux. Le
docteur s’écria que ce serait merveilleux, en effet, mais
il fallait en parler à jeûn. La reine aussi s’écria
qu’il serait merveilleux qu’elle épousât le docteur,
mais le pays devait approuver le projet. Le docteur dit encore que ce
serait merveilleux, à condition de ne pas en discuter tout en buvant.
Puis, sortis de leur état d’ébriété,
les ministres se souvinrent de ce qu’ils avaient dit et ils eurent
honte d’avoir ainsi parlé devant la reine. Et la reine elle-même
avait parlé du projet et elle avait honte d’en avoir parlé
devant les ministres. Mais elle se dit que eux aussi en avaient parlé.
Alors, on se mit à discuter, puis on prit une décision.
La reine se fiança au docteur (la princesse que
l’on croyait être un docteur) et ils rentrèrent dans
leur pays. En les voyant revenir, les habitants du pays furent très
contents car cela faisait longtemps déjà que le prince était
parti en mer, et on ne savait pas où il était. Entre-temps,
le vieux roi était mort. Quand le navire accosta, les habitants
du pays virent que le prince, qui était leur roi, n’était
pas présent. Ils demandèrent : « Où est notre
roi ? » Les autres leur racontèrent les faits, à savoir
que le prince était mort depuis longtemps et qu’ils s’étaient
choisi un nouveau roi, qui était avec eux. (C’était
le docteur, c’est à dire la princesse). Les habitants du
pays furent très contents d’avoir un nouveau roi.
5
Le roi (c’est à dire la princesse) fit proclamer dans toutes
les provinces du royaume que toute personne, étranger ou réfugié,
sans exception, vienne au mariage où il recevrait de beaux cadeaux.
En outre, le roi fit ériger des fontaines partout dans la ville,
afin que quiconque ayant soif, ne fût pas obligé d’aller
ailleurs pour boire, mais trouvât une fontaine à proximité.
Et le roi (la princesse) fit accrocher son portrait au-dessus de chaque
fontaine et fit poster des gardiens pour surveiller les fontaines. Quiconque
venait regarder attentivement son portrait et faisait la grimace, devait
être arrêté et jeté en prison. Les ordres du
roi furent exécutés.
Et ils arrivèrent tous les trois : le premier prince, époux
légitime de la princesse ; le fils du marchand qui avait été
exilé à cause de la princesse qui s’était échappée
; et le roi qui avait été chassé à cause de
la princesse qui s’était enfuie avec les onze dames de compagnie.
Ils avaient tous les trois reconnu son portrait, l’avaient regardé
attentivement, s’étaient souvenus et ils étaient devenus
très tristes. On les arrêta et on les jeta en prison.
Le jour du mariage, le roi (c’est à dire la princesse) donna
l’ordre de faire comparaître les prisonniers devant lui. On
les amena tous les trois et elle les reconnut, mais eux ne la reconnurent
pas, car elle était habillée en homme. Elle prit la parole
et dit : « Toi, le roi, tu as été chassé à
cause des onze suivantes disparues. Prends-les et retourne dans ton royaume.
Et toi le marchand, ton père t’a renvoyé de chez lui
à cause du navire et des marchandises disparues. Reprends ton navire
et tes marchandises. Comme ton argent a été immobilisé
longtemps, tu as maintenant plus de richesses sur ton navire, car elles
se sont multipliées (il y avait en plus le butin des voleurs).
Quant à toi, prince, viens et rentrons chez nous ! » Et ils
rentrèrent chez eux. Amen et amen.
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